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L'aéroport M'Poko de Bangui, seul ilot de sécurité en 2015

La zone aéroportuaire de la République Centrafricaine, protégée par l’armée française, a abrité plusieurs milliers de civils pendant la crise militaro-économique de 2015 avec l’avènement des antibalakas, la milice chrétienne confrontée à la Seleka.

Cinq décembre 2015, il est quatre heure du matin. Bangui, la capitale, se réveille avec de fortes détonations. Nous sommes à la sortie Nord, la plus proche de la barrière de PK12. Dans le quartier, des jeunes en civils, en maillot du Barça pour certains et d’autres en culottes ou jeans déchirés, se faufilent près des maisons. Ils rasent le sol, longent les murs et intimident la population pour qu’elle se tienne tranquille. Dans leurs mains, ils tiennent des « ganapointes », des armes artisanales fabriquées en bois. Ils ont aussi des pointes en fer. Les jeunes sont six, entrent dans une première maison, la pillent. Ils en ressortent avec de l’argent, des bijoux plein les bras.

Bangui est une nouvelle fois la cible d’une attaque coordonnée, deux ans après celle de la milice musulmane dénommée « Seleka » qui dirige le pays depuis la chute de l’ancien président Francois Bozizé, en mars 2013. A quelques mètres de la maison pillée, le corps sans vie d’un militaire. Un musulman tué car il appartenait à l’armée loyaliste. Toute la capitale vit dans la peur, la radio n’émet plus. Tous les habitants se dirigent vers l’aéroport M’Poko où ils espèrent trouver une protection.

L’aéroport M’poko, le patelin curisé pour plusieurs milliers de déplacés

Ils accourent de partout. Les herbes qui arborent l’alentour de la base militaire sont défrichées par la foule. Avec ma famille (mon père, ma mère et moi), nous bénéficions d’un espace situé à l’extrémité de grands chariots, qui servaient il y a encore quelques mois au transport des bagages. Ils sont tout rouillé. Le personnel humanitaire est dépassé par le nombre des déplacés qui affluent chaque jour. Parmi ces ONG, il y a des structures médicales et d’accompagnement comme Médecins Sans Frontières et Save The Children.

Très vite, des quartiers se sont formés, les mêmes que ceux que l’on trouvait à Bangui-la-Coquette lorsqu’elle était en paix. Vers la sortie Nord, à proximité de l’Office national de migration séjournent les hommes politiques et certaines personnalités du pays. Au sud, en allant vers le KM5, c’est le grand marché. On y achète des boites congelées pour militaires, des méchouis, de la viande boucanée… Il y a même un ciné-vidéo en sacs de manioc pour suivre les matchs de la Ligue des Champion, le bonheur ! Un contraste de vie dans un pays martyrisé dehors par les tueries.

Ici, la radio émet : on annonce plus d’un milliers de morts dans Bangui. Toute la société civile réclame la démission de Michel Djotodia, président en exercice. La communauté internationale via le Conseil de Sécurité des Nations-Unies autorise la France à se déployer pour une mission militaire.

Une vie pas comme les autres

De nombreuses famille ne trouvent pas d’abris décent. Une femme est obligée de mettre au monde sous une bâche, sans accompagnement sanitaire. Seules trois autres femmes, plus âgées, accompagnent la naissance de cette petite fille. Il était midi, le soleil au zénith. Dès son premier cri, l’enfant est lavé avec de l’eau froide sous le regard émerveillé de quelques voisins du camp. Un bonheur immense au milieu du chaos qui persiste à l’extérieur de la zone sécurisée.

Les moments les plus durs sont lorsque la pluie s’abat. Dès que le ciel s’assombrit, ma mère range nos affaires. Très fréquemment, elle doit tout plier et attendre la fin de l’averse. On peut observer des enfants qui profitent de l’eau pour jouer avec. Nous, nous devons l’éponger avec une serviette, un morceau de pagne pour sécher l’endroit qui servira de lieu pour dormir.

Survivre, une autre difficulté

Se procurer à manger est un périple. Chaque famille doit se battre pour trouver un ticket alimentaire distribuée par le Programme alimentaire mondiale. Chaque père doit s’en procurer. La queue de la distribution peut atteindre plus d’un millier de personnes. Elle se fait sur une zone à proximité du camp qui sert de terrain de foot. Le kit distribué comprend une bâche, deux litres d’huile, du riz et une moustiquaire. Ma famille en bénéficie. Moi et mon père, nous chargeons ensuite d’aller couper du bois pour la prochaine construction de notre hangar bâché. Nous regardons un arbre non loin du camp, mais de nombreuses personnes l’ont aussi repéré et se servent déjà dessus.

Cette partie de ma vie, qui a duré six mois – je suis ensuite parti pour passer mon bac, mes parents sont restés un an de plus – me hante encore aujourd’hui. Au cours de cette période atroce, j’ai vu une famille entière se faire décapiter par une foule transcendée par la haine. Ces musulmans tentaient de rejoindre une partie de l’aéroport avant d’être massacrés… Ces souvenirs restent gravés dans le cœur du jeune homme de 16 ans que j’étais à l’époque.

Aujourd’hui, la République Centrafricaine renait de ses cendres après cette longue nuit. La jeunesse doit participer à la reconstruction de son pays et surtout rester unie.

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Auteur·e

leopapy

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